Aujourd’hui c’est l’histoire de Céline que nous vous partageons. Un récit qui met le doigt sur une dure réalité bien trop souvent cachée pour beaucoup de femmes : la dépression post-partum . C’est avec des mots sincères et touchant que Céline nous livre une partie de sa vie.
Céline, maman de trois petites filles
Je m’appelle Céline, j’ai 35 ans et j’habite dans le canton de Neuchâtel. Je suis mariée depuis 8 ans et maman de trois petites filles de 6 ans et demi, bientôt 5 ans et 15 mois. Juriste de formation, je m’occupe à plein temps de mes filles depuis près de 2 ans et demi, entre autres choses !
La maternité et moi
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu avoir des enfants. Ma maman était très douce et maternelle. Quand elle est décédée alors que j’avais 15 ans, mon monde a été fondamentalement bouleversé ; mon rêve de fonder une famille tient probablement d’une volonté de récréer ce noyau familial, le cocon que j’avais connu.
J’ai fait des études, débuté un job où la carrière, l’investissement, la formation étaient primordiaux… Des obstacles clairs à une maternité que je n’espérais pas trop tardive. Au final, j’ai pour l’instant choisi de privilégier la famille à la carrière, même si j’ai mené les deux de front durant plusieurs années.
J’ai eu l’immense chance de n’avoir aucune difficulté à tomber enceinte. Après une grossesse sans problème, notre première fille est née en mars 2012 ; j’avais 28 ans. Malgré un démarrage difficile à cause d’un reflux gastro-œsophagien (RGO), notre aînée s’est révélée être un bébé plutôt facile. Mais évidemment, nous ne nous en rendrons compte que plus tard.
L’envie d’un deuxième enfant est arrivée assez vite. En décembre 2013, après une grossesse un peu plus difficile, mais sans problème majeur, notre deuxième petite puce nous a rejoints. Nous étions aux anges. A l’hôpital et après le retour à la maison, aucun signe de coup de mou. Le fameux « baby blues », je ne l’ai jamais expérimenté.
Mais les mois suivants allaient mettre sur notre chemin une épreuve que jamais nous n’aurions imaginé traverser : la dépression post-natale (ou dépression du post-partum, DPP).
Si aujourd’hui j’ai décidé de partager ce récit très personnel avec vous, c’est pour rompre ce tabou. Parce qu’à part dans des articles, une amie vous a-t-elle déjà avoué qu’elle avait vécu une DPP ? Moi, jamais.
J’espère que ce récit sera éclairant pour les femmes qui n’ont pas connu cette expérience. Qu’il pourra les aider à identifier peut-être quelque chose chez une de leurs amies, à être ouvertes au dialogue et à accueillir leur histoire. Ou qu’il pourra faire du bien à des mamans qui ont vécu une expérience similaire et qui peut-être comme moi, n’ont jamais vraiment osé en parler. Ou encore à celles qui peut-être sont en train de traverser une phase difficile après la naissance de leur bébé et qui se demandent ce qui leur arrive.
Le cœur de l’histoire
La naissance d’un enfant, ce bonheur lisse et parfait. Et puis la réalité!
Si la naissance de notre deuxième fille a été un immense bonheur, elle a également été – comme pour beaucoup – un grand chamboulement dans notre famille, 20 mois après l’arrivée de notre tout premier enfant.
Après avoir vécu le RGO de notre première, ces mois compliquées avec un bébé qui pleurait tout le temps, qui mangeait très mal, qui ne voulait pas être posé et ne dormait qu’en écharpe, nous nous étions dit – et cela a été notre grande erreur – que pour le deuxième, ça ne pourrait qu’être plus facile. Ah ah ah. Vraiment ? Une vraie erreur de débutants ! A trois mois, sous traitement avec un RGO maîtrisé et un pouce trouvé, notre première faisait ses nuits. Pour la deuxième, nous sommes malheureusement repassés par la case RGO. Au moins, nous savions comment réagir, quoi faire. Ce que nous ne savions pas, c’est qu’elle n’allait pas du tout le gérer comme la première. Elle s’est révélée être un bébé très intense, aux journées difficiles et aux nuits chaotiques. Un bébé quoi. En version un peu hardcore, mais un bébé.
— Je suis fatiguée, mais c’est normal, j’ai deux petits enfants ! —
Deux, trois mois après la naissance, je me sentais à plat. Fatiguée. Triste. Mais bon, après tout j’étais la maman de deux petites filles de trois mois et même pas encore deux ans. Je dormais mal, je faisais de mon mieux pour répondre aux besoins de toutes, quoi de plus normal que d’être lasse et fatiguée ?
Et puis ce sentiment de lassitude s’est transformé. J’ai commencé à me sentir nulle. Pas capable. Ces choses qui s’insinuent et qui mènent à la DPP se manifestent de façons très différentes suivant les personnes. Je n’avais pas de mal à me lever, je ne passais pas mes journées à pleurer emmitouflée dans un plaid avec un tas de mouchoirs. Je n’avais pas non plus de problème de lien ou de rejet avec mon bébé. Ça, c’était ma vision théorique de la DPP. Le truc qui arrive à des femmes qui ont des « prédispositions » à la dépression. Qui manquent un peu de caractère et de force morale. Double claque à moi-même pour avoir un jour pensé ça !
Aujourd’hui, j’ai de la peine à trouver des exemples concrets pour illustrer la façon dont ce que je pensais être un « coup de mou » se manifestait dans notre famille, car les souvenirs de cette période sont assez flous. Mais voilà ce qu’il me reste de précis : j’avais l’impression de ne pas être une bonne mère, de ne pas être la maman qu’elles méritaient. L’impression de ne pas y arriver, de ne pas être à la hauteur. De ne pas être la femme que mon mari méritait. Je pleurais souvent, puis je me ressaisissais. Je me levais, je m’occupais des enfants, de la maison, de moi. En mode robot.
Et un jour, j’ai touché le fond. Mon fond. J’ai dû appeler mon mari vers 11h pour qu’il rentre du travail. En pleurs. En panique. Pour rien de spécial.
Le pauvre, il a débarqué là avec deux enfants qui pleuraient, moi qui hurlais que je n’y arrivais pas. Je lui ai dit des choses très dures. Que je voulais partir. Qu’ils seraient mieux sans moi. Le pire, c’est que par je ne sais quel tour de passe-passe de mon cerveau, je le pensais vraiment. Alors que lui était un mari aimant et un papa très présent. Encore aujourd’hui, je ne sais pas comment il a fait pour garder la tête froide et ne pas me jeter à la figure de me ressaisir, que j’avais tout pour être heureuse et qu’il fallait juste que je me bouge les fesses pour m’en sortir.
Mais heureusement, il ne l’a pas fait. Certainement parce qu’il me connaissait et que ce comportement ne me ressemblait pas. A ce moment-là, je me sentais tellement au fond du trou que j’ai pensé à me faire interner. Jamais je n’ai pensé à faire du mal à mes enfants. Mais j’avais besoin de me sentir contenue, protégée. Je ne savais pas ce qui m’arrivait, mais je sentais que ça pourrait vite dégénérer.
— Mais qu’est-ce qui m’arrive ? —
Une fois un semblant de calme revenu, c’est mon mari qui a pris les devants. Avec beaucoup de diplomatie et de douceur, il m’a suggéré que cet état n’était pas normal, que ce n’était pas moi et qu’il pensait à la DPP. Que je devrais en parler avec mon médecin de famille. Très peu de temps après, il a dû se rendre seul à un rendez-vous chez notre pédiatre et en a profité pour lui en parler. En rentrant, il me l’a dit et m’a expliqué que la pédiatre avait offert de me recevoir seule pour en parler et faire le point. Une sorte de premier relais. Ce que j’ai fait, car c’est une professionnelle que j’appréciais et en qui j’avais toute confiance. Une femme surtout. Discuter avec elle m’a fait beaucoup de bien. Elle m’a encouragée à contacter rapidement une pédopsychiatre. Le mot de « dépression post-partum » était prononcé. Voilà le mal qui s’était insinué en moi.
La suite a été relativement ordinaire : je me suis rendue à des séances de thérapie, une fois par semaine au départ pendant quelques temps et puis moins souvent, mais toujours régulièrement. Pendant quelques mois. Je n’ai presque aucun souvenir de ce qui s’est dit pendant ces séances. Mais elles me faisaient du bien : pouvoir parler de ce que je ressentais, avoir un avis extérieur.
Médocs or not médocs
A côté de ça, je prenais du millepertuis sur conseil de mon médecin de famille, mais j’étais vraiment opposée au recours aux antidépresseurs. Je ne voulais pas me sentir mieux « artificiellement ». Quand j’ai commencé à être suivie, j’étais à quelques semaines de ma reprise du travail. J’avais un boulot très prenant, stressant, avec des gros horaires… La pédopsychiatre était d’avis que ça me ferait du bien de reprendre le travail, de pouvoir m’éloigner de la maison. Mais d’un autre côté, elle me disait qu’elle pensait que je ne tiendrais pas le coup… quand j’y repense, c’était sacrément contradictoire ! Quand on commence à se « soigner » pour une DPP, les choses ne s’améliorent pas du jour au lendemain… il faut du temps. Aujourd’hui, avec le recul, je me dis que je n’aurais pas dû accepter de prendre des médicaments juste pour pouvoir retourner rapidement me tuer à la tâche au boulot. Que j’aurais dû avoir le courage de dire que j’avais besoin d’un peu plus de temps pour me reconstruire. Je ne dis pas qu’au final je n’en aurais pas pris. Ça se serait peut-être avéré nécessaire dans tous les cas, mais ça je ne le saurai jamais.
On ne refait pas l’histoire. Je suis retournée au travail sous antidépresseurs. Après quelques mois, je n’ai plus ressenti le besoin de consulter. J’ai continué à prendre les médicaments, car la « durée recommandée du traitement » était d’un an. Ou 6 mois grand minimum. Dixit les médecins. Ou l’industrie pharmaceutique. Au bout de 6 mois, j’ai pensé à arrêter. Et j’ai pris peur. La période de fin d’année arrivait, est-ce que j’allais réussir à gérer entre le stress au boulot, le premier anniversaire de la petite, les fêtes de Noël, les nuits pourries ? Je me posais beaucoup de questions sur ce qui se passerait quand j’arrêterais. J’avais vu un changement net et rapide. Une humeur beaucoup plus stable. Des émotions moins présentes. Je n’ai pas souffert d’effets secondaires. Mais comment j’allais « être » sans ces médicaments ?
Finalement, après presque un an de traitement, je me suis dit qu’il était temps d’essayer. J’ai planifié l’arrêt avec le médecin (attention, on ne stoppe jamais un traitement avec des antidépresseurs soi-même et d’un coup. L’arrêt doit être discuté avec le médecin et planifié précisément). J’ai arrêté sans problème. Et il ne s’est rien passé.
Le tabou
Tout au long de cette épreuve, je n’en ai parlé à personne. A part mon mari et sa maman, personne n’était au courant. J’ai attendu d’être sous traitement et d’aller bien mieux pour timidement en parler à quelques personnes proches. Mais peu ont réellement pu se rendre compte de la violence de ce qu’on avait vécu.
Pourquoi n’avoir rien dit ? Parce que je ne savais pas comment en parler. J’avais l’impression que personne ne pourrait comprendre. Je n’avais surtout pas envie de faire face à un discours qui minimiserait cette épreuve. J’en ai parlé à une très bonne amie, elle a de suite compris. Et quand j’ai décidé d’en parler à une autre amie – ce qui était loin d’être facile, mais l’occasion se présentait – , je n’ai même pas eu le temps de finir ma phrase qu’elle m’a dit « oh tu sais, moi aussi après la naissance de « X », je me suis sentie super mal pendant 3 jours ». Ah. Ok. Voilà justement pourquoi j’avais peur d’en parler. Je venais de traverser un tsunami d’une grande violence émotionnelle. Des mois douloureux, une épreuve pour notre famille. Voir ça comparé à 3 jours de fatigue après l’accouchement, c’était trop dur. Même si bien sûr on ne peut pas classer les douleurs. Mais cette très courte expérience m’a guérie de l’envie d’en parler encore. Je n’en avais pas le courage. Et puis il m’a fallu du temps pour accepter que ce n’était pas un échec. Que je n’avais pas « causé » cette situation par un manque ou une faiblesse quelconque.
L’après
Ma vie a continué et… tout s’est bien passé ! Nous avions juré ne plus jamais avoir d’enfant après les difficultés rencontrées avec notre deuxième… et contre toute attente, un peu moins de 3 ans après sa naissance, l’envie d’un troisième enfant est arrivée. Nous y avons beaucoup, beaucoup réfléchi. Et puis nous avons décidé de suivre notre cœur et notre troisième fille est née en août 2017. Ayant été touchée une fois par la DPP, je savais que j’avais un risque accru d’en souffrir à nouveau. Tout le monde (médecin, sage-femme, hôpital, etc.) a été mis au courant « au cas où », mais personnellement, je n’avais pas peur. J’avais l’impression de savoir que ça ne m’arriverait plus. Ou à tout le moins que si je détectais le moindre signe qui me ferait craindre le retour de la dépression, je saurais directement réagir et demander de l’aide.
Depuis, j’en ai encore très peu parlé. Il m’en reste des souvenirs vagues. Une épreuve qui a croisé notre chemin. Qui nous a certainement changés d’une façon ou d’une autre, mais pas profondément. J’ai eu la chance énorme d’avoir un mari très bienveillant, qui a été là pour moi et a tenu notre famille à bout de bras pendant plusieurs semaines. Qui ne m’a jamais rien reproché. Je ne peux pas dire que cette histoire nous a rapprochés. Car nous étions et sommes très proches. Mais elle aurait pu nous séparer. Sans lui, tout aurait été bien plus compliqué. Je sais qu’il n’aura jamais le courage de lire cet article jusqu’au bout, mais j’en profite quand même pour lui dire merci. MERCI.
A toutes les femmes qui pourraient un jour ressentir des sentiments similaires, une lassitude, une tristesse, des épaules trop chargées, le sentiment de ne pas être « assez » : n’attendez pas. Parlez-en à quelqu’un. Votre maman, sœur, meilleure amie, médecin, pédiatre, peu importe. Ce n’est pas une honte. C’est une épreuve et vous la surmonterez. Ça ne sera pas forcément facile, mais ça fera partie de votre histoire et ça deviendra une force. Pas une faiblesse, pas un échec. Une force.
Prenez soin de vous !
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